Parrainage de proximité, mentorat, accueil durable et bénévole, tiers digne de confiance… La mobilisation de la société civile en protection de l’enfance est l’un des enjeux de la loi du 7 février 2022. Loin d’être nouveau, l’engagement citoyen auprès des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance se heurte néanmoins à diverses difficultés, et nécessite de solides garde-fous.
Le nombre de bénévoles engagés auprès des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) va-t-il grimper en flèche ? S’il est impossible de prédire l’avenir, une chose est sûre : la loi du 7 février 2022, dite « loi Taquet », a fait de la solidarité citoyenne l’un des axes majeurs de la politique de la protection de l’enfance.
Parrains et mentors
Dorénavant, les mineurs devront se voir proposer « systématiquement » un parrain ou une marraine, si cela est dans leur intérêt. Même chose pour les « mentors », à partir de l’entrée au collège.
Une ambition qui semble un brin utopique alors que l’on compte plus de 310 500 enfants suivis en protection de l’enfance sur le plan national. Pour combien de parrains et de marraines actuellement ? Difficile à dire.
Pas d'indicateurs
« À l’heure actuelle, il n’existe pas d’indicateur disponible sur le nombre de parrainages ou de mentorats. Il est donc nécessaire de se référer aux données communiquées par les associations qui assurent de telles missions », indique Flore Capelier, directrice de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE).
« Si ces pratiques venaient à se développer, comme y engage la loi du 7 février 2022, il serait intéressant de travailler à la mise en place d’un indicateur commun aux acteurs associatifs et départementaux », complète-t-elle.
Désinstitutionnalisation
La loi Taquet entend aussi renforcer l’accueil chez les tiers dignes de confiance. Le juge des enfants doit désormais, sauf urgence, évaluer cette solution avant d’envisager un placement institutionnel. C’est un autre pas en faveur de l’engagement citoyen en protection de l’enfance.
Cette dynamique s’inscrit dans le virage inclusif et le mouvement de désinstitutionnalisation voulu par l’ancien secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance. Objectif : diversifier les modes d’accueils et développer des alternatives aux prises en charge « traditionnelles ».
Une dynamique ancienne...
Ouvrir la protection de l’enfance à la société civile n’est pourtant pas une idée nouvelle. Le parrainage de proximité, par exemple, remonte à l’après-guerre. Une circulaire datant de 1972 invitait déjà à rechercher des parrains pour les enfants placés en établissements et sans liens familiaux.
En 1978, Simone Veil, alors ministre de la Santé, publiait une nouvelle circulaire sur le sujet. Puis ce fut au tour de Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l’enfance et aux personnes handicapées, de piloter un groupe de travail en 2001, qui aboutit à une vision plus universelle du parrainage, concernant tous les enfants, placés ou non. En 2005, enfin, une charte nationale du parrainage voit le jour.
...Qui peine à porter ses fruits
Plus récemment, la stratégie nationale de la protection de l’enfance 2020-2022 préconisait elle aussi de mobiliser la société civile autour de l’enfance protégée. Mais visiblement le virage inclusif peine à porter ses fruits.
« Dans certains départements, il n’existe aucun dispositif de parrainage », constate David Pioli, coordinateur du pôle « droit de la famille et protection de l’enfance » à l’Union nationale des associations familiales (Unaf).
Des freins
Dix-huit Udaf portent des services de parrainage de proximité, de manière directe ou en appui d’associations. « Les conseils départementaux vont désormais être obligés de proposer des dispositifs de parrainage, mais il n’est pas sûr qu’ils parviennent à trouver un vivier de bénévoles suffisant et à faire correspondre les demandes de parrainages et les bénévoles sur un même territoire. La solidarité citoyenne ne se décrète pas », ajoute Mylène Armando, administratrice de l’Unaf.
Trouver des bénévoles prêts à s’engager dans la durée auprès d’enfants de l’ASE n’est pas simple, et c’est là l’un des premiers freins.
Un tournant ?
Juliette Halifax, chargée d’études et de recherche à l’Association pour la professionnalisation, la recherche, l’accompagnement et le développement en intervention sociale (Apradis) se veut plus optimiste : « La loi Taquet marque un tournant important, les départements se saisissent de la question et communiquent sur le sujet, le parrainage est mieux connu et va certainement prendre de l’ampleur dans les années à venir. »
Cette sociologue et démographe, elle-même marraine de proximité chez France Parrainages, observe que l’association a été contactée par plusieurs départements, depuis la loi du 7 février 2022, pour créer un dispositif de parrainage rattaché aux services de l’ASE.
Sécuriser les liens
France Parrainages est l’un des acteurs historiques du secteur : l’association compte dix antennes couvrant onze départements pour 743 enfants parrainés en 2022 (dont 70 % relevaient de la protection de l’enfance) et sept associations partenaires. Elle gère également depuis 2018 un service d’accueil durable et bénévole d’une vingtaine de places dans le Val-de-Marne, à destination de mineurs non accompagnés (MNA).
Chaque antenne de l’association emploie des travailleurs sociaux chargés d’accompagner les parrains et marraines et de faire le lien avec les services de l’ASE. « L’encadrement professionnel est selon nous absolument nécessaire, pour sécuriser les liens et faire en sorte que le parrainage s’inscrive dans la durée », assure Intissar Koussa, responsable des actions France chez France Parrainages.
Des pratiques variées
Mais sur le terrain, les pratiques peuvent varier. « Chez nous, il n’y a que des bénévoles, pas de salariés chargés d’accompagner les parrains-marraines », indique Marie-Luce Thouvenin, administratrice de l’Union nationale des acteurs de parrainage de proximité (Unapp) qui regroupe 26 associations de tailles très diverses représentant environ mille parrainages.