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Tribune libre21 juillet 2023
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"Objectif zéro problème" : slogan marketing ou renouveau de la protection sociale ?

Avec la fin de l’État providence, la crise de la dette publique et la montée de la logique inclusive, la donne a changé, observe Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, dans cette tribune libre*. Un nouvel horizon est assigné à la protection sociale et aux travailleurs sociaux : les projets "objectif zéro" et "100 %".

Rapport « zéro sans solution », territoires 100 % inclusifs, Lab « zéro SDF », Territoire zéro chômeur de longue durée (TZCLD), Territoire zéro non-recours. Les projets qui affichent comme objectif de régler définitivement un problème social, avec le slogan « 100 % » ou « Zéro », sont de plus en plus nombreux ces dernières années. Il ne s’agit pas d’un simple effet de mode marketing.

La montée de ces projets est le signe d’une nouvelle façon de penser la protection sociale. Elle doit désormais aller au-delà de la simple distribution de secours publics et réussir le retour durable au droit commun.

Conditions de vie minimums et dignes

Le système de protection sociale français, composé de la Sécurité sociale et de l’aide sociale, est fondé sur la valeur de solidarité. C’est un vaste filet de sécurité capable de distribuer des secours publics aux personnes jugées vulnérables pour leur garantir des conditions de vie minimums et dignes.

Il aura fallu plus de 200 ans pour que le rêve des membres du comité de mendicité de la Révolution française, inscrit dans l’article 21 de la constitution de l’an 1, devienne réalité : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler ».

Aujourd’hui, ce système est d’une grande efficacité, il limite la casse pour des centaines de milliers d’usagers qui, au nom de la solidarité nationale, se voient offrir des allocations, des hébergements, des aides humaines, un emploi d’insertion.

Ces usagers bénéficient évidemment, pour la plupart, d’un accompagnement dont l’objectif est de sortir de la dépendance aux aides sociales, mais ce n’est pas l’objectif premier du système qui, initialement, ne se fixait pas d’obligation de résultat en termes de retour au droit commun.

Réussir le retour au droit commun

Avec le virage du « new public management », la fin de l’État providence, la crise de la dette publique, et la montée de la logique inclusive, la donne a changé. Un nouvel objectif est assigné à la protection sociale et aux travailleurs sociaux.

Un système efficace est maintenant un système dont les pratiques permettent un retour durable au droit commun, donc la sortie de la dépendance aux aides sociales, et ce au moindre coût, avec en parallèle un système d’évaluation qui donne la possibilité de mesurer l’effectivité de ce succès.

D’où, la logique de performance, les exigences de reporting pour prouver l'efficacité des actions, les nouvelles méthodes d’évaluation d’impact social, les nouveaux cabinets conseil spécialisés dans ce type d'évaluation, les expérimentations randomisées, les expérimentations financées par les contrats à impact social, et d’où enfin les projets « objectifs zéro » et « 100 % ».

Un système de protection sociale maintenant jugé inefficace

Dans cette nouvelle visée, la protection sociale française historique est jugée inefficace. Le système protège les enfants en danger, mais ne sait pas rétablir les compétences parentales pour permettre le retour en famille. Le système offre des hébergements temporaires en CHRS, mais le nombre de SDF ne baisse pas et l’accès au logement en sortie de CHRS est faible.

Il protège les personnes handicapées dans des institutions, mais ne garantit pas leur sortie pour une vie en milieu ordinaire. Il distribue des allocations aux chômeurs et aux allocataires du RSA, mais ne fait pas la preuve de son efficacité pour un retour à l’emploi.

Viser l’accès direct au droit commun

Les projets « objectifs zéro » ou « 100 % » se caractérisent par le fait qu’ils ne visent plus la distribution d’un secours public d’abord, pour ensuite tenter un retour au droit commun. Ils visent l’accès direct au droit commun dans une logique de « first », « housing first », « working first ».

Dans le projet TZCLD, les usagers sont engagés directement en CDI, ils ne passent pas par un sas comme dans le modèle traditionnel de l’insertion par l'activité économique (IAE). Les expérimentations zéro SDF s'inspirent de la logique du logement d’abord dans laquelle on propose directement un logement définitif. Les territoires 100 % inclusifs du secteur du handicap sont eux aussi orientés vers l’accès direct au droit commun.

Faire migrer les moyens vers le droit commun

Ils se caractérisent également par une migration des moyens consacrés habituellement au secours public, vers le droit commun. Dans le projet TZCLD, les allocations chômage du bénéficiaire sont utilisées pour financer une partie de son salaire en CDI.

Dans la logique du « logement d’abord », une équipe intervient auprès de la personne pour l’accompagner dans son logement. La logique inclusive du secteur du handicap fonctionne sur le même principe, l’accès direct au droit commun est rendu possible grâce à la migration des moyens des établissements dans le milieu ordinaire.

Réduire la complexité

Enfin, les projets zéro et 100 % se caractérisent également par une stratégie de réduction de la complexité du problème que l’on cherche à régler. 

Réduction du périmètre géographique d’abord. Ces projets sont en effet très souvent pensés à l'échelle d’un territoire de proximité : une ville, une communauté d’agglomération. Ce qui réduit le nombre de parties prenantes à coordonner et facilite la création d’une dynamique entre des acteurs qui se connaissent déjà.

On réduit également le nombre de bénéficiaires et le périmètre de leur profil, mais sans chercher à ne sélectionner que les personnes les moins en difficulté. Les projets zéro SDF ciblent les SDF stricto sensu sur le modèle du logement d’abord et non pas une très large variété de public en difficulté de logement, comme le fait la politique de distribution de secours public du secteur de l’AHI (accueil, hébergement, insertion). Les projets TZCLD ciblent un type de chômeurs parmi la masse.

Ces projets n'atteignent évidemment pas l’objectif zéro ou 100 %, il existe toujours une part du public pour lequel le retour au droit commun échoue plus ou moins durablement. Mais ils obtiennent parfois des résultats étonnants jamais atteints par notre bon vieux modèle de solidarité. Dans la première phase de l’expérimentation TZCLD, trois territoires sont parvenus à engager en CDI toutes les personnes identifiées au départ.

Finalement, le retour durable au droit commun comme nouvel objectif de la protection sociale, et les projets zéro et 100 %, crée autant d’espoir que d’inquiétude.

Espoir de développement de pratiques plus efficaces pour accéder au droit commun. Inquiétude chez celles et ceux qui craignent les conséquences d’un retour au droit commun non choisi.

Cette question est au cœur des débats sur la réforme en cours de l’accompagnement des allocataires du RSA.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

Jean-LucGAUTHEROT
Ingénieur social
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