En situation de handicap ou de grande précarité, certaines personnes vivent une grande partie de leur vie en institution. La question de leur vieillissement n'a pas été suffisamment pensée. Quelques nouveaux dispositifs émergent. Mais les personnes restent peu libres de choisir l'endroit où elles vieillissent.
La prise de conscience de l'allongement de l'espérance de vie des personnes accueillies en institution a débuté dans les années 1980. Mais ce n’est que dans les années 2000 que le nombre de personnes vieillissantes a commencé à s'y accroître significativement.
Dernier filet de sécurité
Aujourd'hui, un gros tiers des personnes accompagnées dans des structures pour adultes handicapés a plus de 50 ans, évalue l'Ancreai (fédération nationale des centres régionaux d'études en faveur des personnes en situation de vulnérabilité).
Quant aux personnes sans abri vieillissantes : une partie d'entre elles habite toujours des structures d'urgence et d'insertion. 55 % de celles et ceux qui vivent en pensions de famille et résidences sociales ont plus de 50 ans, ainsi que 13 % des personnes accueillies en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) (1). Pour beaucoup, le tissu associatif reste le dernier filet de sécurité.
La barrière d'âge
Pour vieillir dans un endroit qui leur correspond, les personnes en structures se heurtent à un premier obstacle : la barrière administrative des 60 ans, qui rend l'accès à leurs droits plus difficile.
« Les politiques publiques sont peu claires sur ce point. À partir de 60 ans, les personnes handicapées ne relèvent plus du champ du handicap mais de celui de la vieillesse, explique Thomas Baude, travailleur social et responsable de la mission Interface de Paris. Elles touchent certes l'allocation aux adultes handicapés, mais plus les prestations de compensation du handicap qu'elles méritent comme le transport gratuit, la possibilité d'accès à un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad), un service polyvalent d'aide et de soins à domicile (Spasad) ou à l'hospitalisation à domicile. »
Des quotas fléchés
L'objectif d'Interface est d'aider les plus de 60 ans à sortir de l'urgence sociale. Thomas Baude constate en effet que très peu de solutions s'offrent au public qui a longtemps vécu l'errance : « Les pouvoirs publics ne tiennent pas compte du fait qu'ils cumulent souvent une pathologie psychiatrique, des troubles cognitifs, une addiction et un vieillissement prématuré du fait de leur parcours. »
Faciliter l'accès à l'aide sociale
Selon lui, il manque d'instances de coordination entre acteurs administratifs, médicaux, du handicap, de la retraite pour déverrouiller les situations complexes.
Dans leur plaidoyer sur les personnes en situation de précarité confrontées au vieillissement, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et la Fédération des établissements hospitaliers d’aide à la personne (Fehap) ajoutent la nécessité de faciliter l'accès à l’aide sociale à l’hébergement (ASH) pour ce public, en dérogeant notamment à la règle de l’âge. Et plaident pour que, dans les hébergements, des quotas de places soit fléchés pour les bénéficiaires de l'ASH.
Une adaptation compliquée
Depuis 2002, les foyers d'accueils médicalisés (FAM) et maisons d'accueil spécialisées (MAS) ne sont plus soumis à une barrière d'âge.
Les résidents qui souhaitent finir leur vie là où ils ont construit des liens le peuvent, explique Sévérine Ragon, directrice du développement au sein d’APF France handicap : « Mais il y a encore des collectivités qui financent l'ASH qui décident qu'à 60 ans, les personnes partent en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). »
Et des anciens travailleurs d'établissement et service d'aide par le travail (Esat) qui doivent quitter leur foyer quand ils sortent de la vie active.
En outre, les FAM et MAS où restent des résidents qui vieillissent doivent s'adapter : « Il faut faire coïncider le rythme d'un résident plus fatigable avec celui des autres, coordonner ses soins », note Antoine Fraysse, délégué fédéral de l'Ancreai. Répondre aux besoins d'aide à la vie quotidienne peut créer des blocages au sein des équipes.
Une question taboue
Dans le champ de la précarité, certaines structures, pour s'alléger, font appel à des partenaires extérieurs. « Comme les infirmières libérales craignent parfois qu'un public issu de la rue ne leur demande trop de temps, des Ssiad spécialisés et équipes mobiles de soins précarité prennent le relais, observe Thomas Baude. Mais c'est difficile d'obtenir une toilette d'un Ssiad quand on partage sa chambre. Et beaucoup d'établissements ne sont pas aux normes pour personnes à mobilité réduite. »
Par ailleurs, il souligne qu'en structures sociales, la question de la fin de vie demeure taboue. « Les directives anticipées, la personne de confiance, le protocole lié à la gestion des décès : ce n'est pas abordé ».
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À terme, la première destination de ceux qui ne restent pas dans leurs foyers est l'Ehpad. « Depuis quelque temps, nous recevons des témoignages concernant des personnes en situation de handicap, parfois âgées de moins de 60 ans, qui doivent quitter leur FAM pour un Ehpad, relate Sévérine Ragon. On nous répond que c'est temporaire et qu'il y a des places vides en Ehpad. Ce n'est pas admissible. »
Antoine Fraysse confirme : « Ces orientations ne correspondent pas nécessairement aux besoins ni aux attentes des personnes ». Pour Sévérine Ragon, on ne peut pas accompagner une personne de 60 ans, certes restreinte par un handicap, comme le reste des résidents d'un Ehpad, dont l'âge moyen est de 86 ans : « Ces personnes plus jeunes n'ont pas besoin d'animation, mais d'un vrai projet d'ouverture sur la cité » (lire notre entretien ci-dessous).