Directrice d'Ehpad en région parisienne, Eve Guillaume raconte pourquoi son établissement a décidé de récupérer la pleine maîtrise de son service de restauration, après vingt ans d'externalisation. Au même titre que le soin, l'alimentation est au cœur des missions de l'Ehpad.
« On mange tellement bien ici ! » En juin, nous avons animé notre première commission des menus avec les résidents depuis que nous avons réinternalisé notre cuisine en mai dernier. Pour la première fois, les avis ont été unanimement positifs. Des réactions qui sont venues confirmer que nous avions fait le bon choix : récupérer notre autonomie pour gérer notre cuisine.
Logique d'externalisation
Depuis 20 à 30 ans, beaucoup d’Ehpad ont suivi la dynamique des hôtels et ont décidé d’externaliser certaines de leurs compétences. Ce sont principalement les services généraux qui ont été affectés par ce choix : cuisine, blanchisserie, ménage… Lumières d’Automne a aussi fait ce choix, il y a plus de 20 ans, en externalisant sa cuisine puis une partie de sa blanchisserie.
Cœur de métier
Ainsi, une entreprise spécialisée dans la sous-traitance de la restauration mettait à disposition de l’établissement un chef de cuisine. Elle pilotait toutes les commandes, la confection des menus et le respect des normes d’hygiène. Un service qui facilitait la gestion quotidienne de l’établissement puisqu’il nous déchargeait d’un certain nombre de tâches. Cela permettait à l’Ehpad de se recentrer sur ce que l’on qualifie souvent de cœur de métier : le soin.
Remontées négatives
Assez rapidement, on perçoit les limites de ce système. L’établissement n’est plus maître de la qualité de sa prestation. Les résidents et leurs proches nous font remonter des insatisfactions, voire des critiques et l’entreprise extérieure rectifie difficilement le tir. Si l’entreprise nous proposait des actions correctives à mettre en place, la mise en œuvre de celles-ci était souvent plus compliquée dans les faits. Et pourtant, d’une commission à l’autre, les mêmes remontées négatives pouvaient s’exprimer sans que les promesses d’ajustement ne soient réellement mises en place. Nous nous apercevions que nous avions perdu la maîtrise de la qualité de notre prestation repas.
Qualité des repas
La qualité des repas et la propreté de l’établissement sont bien souvent les deux éléments qui sont jugés en premier par les résidents et les familles lors des enquêtes de satisfaction. Ce sont des critères scrutés par le nouvel entrant ainsi que la qualité de l’accueil. Dès lors, nous devons considérer que ces compétences font partie de notre cœur de métier, au même titre que le soin.
Vigilance par rapport à la dénutrition
D’autant plus que l’alimentation est un facteur influençant directement la santé de la personne. La dénutrition, modérée à sévère, touche fortement les personnes âgées et peut être la cause d’autres problèmes de santé. Il est donc primordial de pouvoir maîtriser l’enrichissement de certains repas. La présentation visuelle des mets est aussi importante chez les résidents qui ont souvent des « dégoûts » et des petits appétits. Il faut que la présentation de l’assiette soit réfléchie pour éveiller les papilles.
Mieux présenter les plats
Pour les personnes qui mangent mixés, on peut ainsi travailler avec des moules en silicone afin de reconstituer la forme de l’aliment (une cuisse de poulet, un poisson…) afin que cela ne ressemble pas à une purée ou une bouillie qui pourrait être à base de n’importe quel aliment. On peut aussi mettre en place du manger main pour les personnes dont les pathologies limitent l’utilisation des couverts. Tous ces projets, nous avons tenté de les mettre en place avec notre prestataire extérieur, mais nous rencontrions de nombreux obstacles à sa mise en œuvre effective : manque de formation du chef de cuisine, difficulté de communication…
Plaisir culinaire
La qualité des repas n’était donc pas au rendez-vous. Nous avions aussi peu de flexibilité lorsqu’il s’agissait d’adapter des menus à certaines personnes, notamment pour des résidents en fin de vie. Nous savons pourtant que le plaisir culinaire est parfois l’un des derniers qui reste au crépuscule de la vie d’une personne.
Manque de légitimité
L’externalisation interrogeait aussi notre capacité à manager nos équipes. En effet, le chef de cuisine étant mis à disposition par la société, les cuisiniers, eux, étaient des agents de l’établissement. Le chef avait donc des difficultés à piloter son équipe puisqu’il n’avait aucun lien hiérarchique avec eux et se sentait en manque de légitimité. La qualité de l’accompagnement de nos agents en cuisine était particulièrement dépendante de l’investissement du chef mis à disposition et l’établissement a bien souvent rencontré des difficultés dans ce domaine.
Un chef de cuisine motivé
Nous avons donc pris la décision de réinternaliser notre cuisine. Une décision qui n’a pas été sans difficulté puisqu’en 20 ans d’externalisation, nous avions perdu toute compétence en interne pour gérer en autonomie notre cuisine. La première étape a été de recruter un chef de cuisine intéressé et motivé par notre projet. Nous avons eu la chance de rencontrer cette perle rare. Notre nouveau chef, qui avait déjà réalisé par le passé des ouvertures de cuisine, nous a accompagnés dans toutes les étapes de l’internalisation.
Produits locaux et de qualité
Aujourd’hui, nous avons encore des ajustements à mettre en œuvre avec notre diététicienne pour que nos repas répondent bien aux besoins des résidents. Nous allons devoir renforcer la formation de nos agents de cuisine. Mais nous pouvons déjà espérer travailler sur de nouveaux projets qui n’étaient pas envisageables auparavant : une cuisine plus durable avec davantage de produits locaux et de qualité, la mise en place de plats végétariens et un véritable travail sur la gestion de nos déchets alimentaires.
Lieux de vie
L’hôtellerie, la restauration font partie de notre cœur de métier en Ehpad au même titre que le soin puisque nos établissements sont des lieux de vie. Garder la maîtrise de la qualité des services que nous proposons est un gage pour le bien vivre de nos résidents.
Carnet de bord : deuxième saison !
L'automne dernier, nous ouvrions une rubrique hebdomadaire d'expression libre. L'objectif est de permettre à des professionnels de raconter le quotidien de leur pratique, de faire réfléchir, voire d'ouvrir des débats. Pendant huit mois, Dafna Mouchenik (aide à domicile), Eve Guillaume (Ehpad), Laura Izzo (protection de l'enfance) et Christel Prado (département et handicap) ont ouvert la voie avec des textes qui vous ont souvent captivé. Elles ont accepté - qu'elles en soient remerciées - de poursuivre l'aventure. Évidemment, au cours de cette année, de nouvelles têtes pourraient apparaître. En attendant, belle rentrée à nos quatre chroniqueuses.
Chronique déjà parue :
- Un remplacement qui se passe mal ! par Dafna Mouchenik